Les périodes de crise, qui plus est lorsqu’il s’agit de tensions internationales et de conflits militaires, sont rarement propices au pluralisme de l’information. Les grands médias ont alors inexorablement tendance à s’aligner sur la communication des gouvernants. Au cours des deux semaines étudiées après les massacres perpétrés par le Hamas le 7 octobre, le récit médiatique dominant impose une lecture de la guerre à Gaza à la fois partielle, partiale et gangrénée par un double standard systémique selon que l’on s’intéresse aux réalités israéliennes ou palestiniennes. Une information biaisée et déséquilibrée, parfois propagandiste tant certains médias auront repris mot pour mot – sans jamais l’interroger ni a fortiori la critiquer – la communication belliqueuse des autorités civiles et militaires israéliennes. Une information au garde-à-vous, qui n’a été la plupart du temps que louanges pour le positionnement diplomatique du président français durant les quinze premiers jours.
« On les entend, on les devine, lance la présentatrice Alice Darfeuille presque intriguée en parlant des bombardements. Ce bruit, notamment, auquel on assiste. Qu’est-ce qui fait ce bruit ? » Il y a quelque chose de sidérant à regarder BFM-TV au soir du 27 octobre. Alors qu’un tapis de bombes s’abat sur Gaza, pilonnée « comme jamais depuis les attaques du Hamas » de l’aveu d’un journaliste à 21h, un plan fixe de l’enclave filmée en continu par un téléobjectif occupe la moitié de l’écran de 19h à minuit. Un plan noir, d’où émanent au loin, minuscules, des lueurs jaunâtres et des colonnes de fumée, mais aussi les détonations des bombardements et le vrombissement d’hélicoptères israéliens. Un simple décor de plateau… perturbé par un « bruit de fond », comme le qualifie le journaliste François Gapihan peu avant 20h, imperturbable devant la dévastation de Gaza.
Distorsion maximale du réel
Si ce 27 octobre, les Nations unies réitèrent leur appel au cessez-le-feu par la voix de leur secrétaire général Antonio Guterres [1], sur le plateau de BFM-TV, on n’en tient aucunement compte. Pire : comme amnésique après les trois semaines de pilonnage continu de la bande de Gaza qui viennent de s’écouler et alors que les bombardements redoublent d’intensité, François Gapihan divague : « Nous-mêmes sur BFM-TV, au moment où nous parlons, nous entendons le bruit des bombardements israéliens sur la bande de Gaza. Général [Dominique Delort], depuis le 7 octobre, on use de précautions sémantiques, et c’est bien normal, pour évoquer la situation. Ce soir, est-ce que l’on peut parler de « guerre » ? » Et tant pis pour les milliers de victimes civiles de cette « non guerre » qui dure déjà depuis vingt jours ! Ou quand BFM-TV reproduit mot pour mot le « narratif » de l’armée israélienne, qui prétend qu’elle ne lancera véritablement ses « opérations » que lorsqu’elle aura engagé ses propres soldats dans une « offensive terrestre », dont les préparatifs et le lancement « imminent » sont feuilletonnés depuis trois semaines par BFM-TV. « La contre-offensive israélienne a-t-elle véritablement débuté ? », se questionne ainsi logiquement le journaliste Ronald Guintrange à 21h30, avant de poursuivre : « Les forces terrestres de Tsahal ont en tout cas étendu leurs opérations, c’est la sémantique employée ce soir par le porte-parole de l’armée. » Quant à savoir si c’est bien le rôle d’un journaliste de relayer cette « sémantique », c’est une question qui ne semble pas effleurer BFM-TV.
Aveuglés par la communication israélienne et obnubilés par « l’actualité », les journalistes se noient dans un présentisme exacerbé par les nécessités de l’information en continu. Si bien qu’une seule et unique question semble préoccuper Ronald Guintrange :
– 21h03 : Que se passe-t-il en ce moment ? Est-ce qu’en dehors des mots du porte-parole de Tsahal, on est selon vous dans les prémices de cette opération terrestre dont on nous dit qu’elle est imminente chaque jour ?
– 21h05 : Est-ce qu’on est véritablement dans une nouvelle phase ? La phase que tout le monde attendait évidemment. Euh… ne le souhaitait pas, mais dont tout le monde parlait depuis 15 jours ? […] Cette réplique israélienne, est-ce qu’on s’en rapproche désormais ?
Un leitmotiv morbide, entretenu tout au long de la soirée y compris par les envoyés spéciaux, à l’instar de ce correspondant à Tel-Aviv peu après 23h : « On voit bien que cette opération, cette incursion militaire est importante, sans qu’on puisse dire qu’il s’agisse pour l’instant de l’opération massive d’ampleur, façon rouleau compresseur, qui avait été envisagée sitôt après les attaques terroristes du Hamas. » La rhétorique n’a de cesse de minimiser les multiples conséquences des bombardements (passés et en cours) sur les populations civiles. Initialement appelées « collatérales », les victimes en viennent à ne plus exister du tout.
Le déni est tellement profond que rien ne semble pouvoir servir d’électrochoc. En plateau à 19h, le responsable juridique de l’UNRWA [2] Johann Soufi jetait pourtant un pavé dans la mare : « Je vous avoue que je suis un peu inconfortable avec le discours qui a été tenu jusqu’à présent parce que j’ai l’impression […] que l’opération commence aujourd’hui… Or, depuis trois semaines, les civils sont en première ligne […]. On parle de « frappes ciblées », d’une « réponse mesurée », mais je vous rappelle que 7 000 civils sont déjà morts. » Mais quelques instants plus tard… rebelote :
– François Gapihan : Pour vous, il semble illusoire […] de pouvoir protéger d’une quelconque manière les civils dans la bande de Gaza et dans la perspective d’une réponse majeure d’Israël qui commence actuellement peut-être ?
– Johann Soufi : Mais Israël ne « commence » pas !
Un aveuglement volontaire, conforme au positionnement qu’adopte BFM-TV : celui de relai de la propagande de guerre israélienne. « On nous annonce vraisemblablement une prise de parole publique d’un porte-parole de l’armée israélienne incessamment », avance François Gapihan dès 19h. « Donc soyons patients. Et attendons les faits », lui répond sereinement l’éditorialiste su service « International » de la chaîne, Ulysse Gosset. Les « faits » attendus par la rédaction arrivent comme prévu par la voix du militaire Daniel Hagari – dont la prise de parole est diffusée à quatre reprises entre 20h45 et minuit [3]. Et c’est donc sans filtre qu’Ulysse Gosset la télégraphie tout au long de la soirée :
Ulysse Gosset : C’est clairement une opération qui est destinée, comme le dit le porte-parole de l’armée israélienne, à faire pleurer le Hamas. C’est vraiment très clair, mais ce n’est pas la grande opération dont on parle. […] On parlait du débarquement de Normandie. Ça ne sera ni le débarquement, ni l’opération Barbarossa, ça sera une série d’opérations et d’incursions qui visent à affaiblir l’ennemi, à épuiser le Hamas, à réduire ses capacités de riposte, à détruire ses réserves de récoltes, à tuer éventuellement ou neutraliser certains de ses commandants et puis ensuite se retirer et puis ensuite revenir. Et continuer à revenir. […] Pour les Israéliens, il y avait une nécessité presque symbolique de frapper fort ce soir pour dire que même si on n’allait pas jusqu’au bout de nos moyens, on avait vraiment l’ambition de faire passer le message.
« On », « nos » : autant d’appropriations lexicales qui bafouent les principes les plus élémentaires du journalisme.
Gaza : l’omniprésente absente
De 19h à minuit sur BFM-TV, Gaza est partout et nulle part à la fois. À l’antenne, elle n’est qu’un écran noir juxtaposé au plateau des commentateurs. Des dires mêmes du journaliste Ulysse Gosset en début de soirée, « les bombardements sont d’une telle violence qu’on peut voir les images des immeubles en feu et des explosions des bombes larguées par l’aviation israélienne depuis Ashkelon. Il y a des images saisissantes où l’on voit l’intensité de ces frappes. » Aucune d’entre elles ne passera pourtant à l’antenne.
Mais ce n’est pas tout… Très vite dans la soirée, de nombreuses alertes font état d’une rupture totale des communications à Gaza – l’observatoire NetBlocks atteste d’un « effondrement de la connectivité » dès 18h30 tandis que des reporters d’Al Jazeera rapportent une coupure des réseaux internet et téléphoniques, également signalée par l’AFP. Au cours de la soirée, plusieurs ONG indiquent avoir perdu le contact avec leurs équipes de terrain [4] et confient leurs craintes quant aux conséquences sur les civils palestiniens tandis que le Comité de protection des journalistes publie un communiqué alertant sur les « graves répercussions » d’un « blackout de l’information » en plein bombardement. Mais sur BFM-TV, c’est dans une tout autre ambiance que Ronald Guintrange accueille cette information à 21h en compagnie d’un ancien général de l’armée française :
– Ronald Guintrange : C’est rendre le Hamas aveugle et sourd pendant quelques temps ? C’est l’idée ?
– Dominique Delort : Pendant quelques temps. Il y a une cyberattaque qui a été menée de façon à créer une zone sombre pour empêcher toutes les communications. Ce qui veut dire quoi ? C’est que ça va gêner considérablement à la fois les liaisons du Hamas entre eux mais aussi les capacités du Hamas à mener une guerre informationnelle, c’est-à-dire à donner des images sur la réalité de ce qui se passe en ce moment à Gaza.
Le présentateur acquiesce. Des journalistiques obnubilés par le seul Hamas et les aspects technico-tactiques de la guerre, secondés par une expertise militaire ad hoc, peuvent donc commenter en toute bonne conscience une mise à huis clos de potentiels crimes de guerre. Qui est « aveugle et sourd » ?
En la matière, le présentateur Ronald Guintrange ne se fixe en tout cas aucune limite. En témoigne sa réaction, trois quarts d’heure plus tard, aux cris d’alarme lancés en duplex par la directrice générale de Médecins sans frontière Claire Magone, laquelle revendique vouloir « fissurer le vernis de bonne conscience » du plateau :
– Claire Magone : Là, on parle de gens bien réels en fait. On parle de gens bien réels ! […] On parle de toute une population qu’on réduit à une espèce de masse informe et quelque part, qui n’avait qu’à pas être là. […] On l’a mise là en fait la population de Gaza ! Elle est sous blocus depuis 2007, elle est bloquée là, elle n’a nulle part où aller et donc je voudrais que quand même, dans ce moment qu’on est en train de vivre, en live, dans cette espèce de massacre à huis clos dont on découvrira plus tard le résultat morbide, qu’on ait au moins un petit peu la décence de se rappeler qu’on parle d’êtres humains, d’êtres vivants. […]
– Ronald Guintrange : Et je vous précise que s’ils sont à huis clos, c’est parce que le Hamas ne nous permet pas de faire notre travail comme on nous permet de le faire côté israélien. […] Et que c’est bien dommage parce que ça nous permettrait d’avoir des chiffres que nous pourrions confirmer. Merci beaucoup madame Magone.
Fin de l’entretien. La morgue et le mépris du présentateur sont telles que le reporter du Figaro Renaud Girard se voit contraint à cet instant de corriger son confrère en rappelant la conséquence du siège total de Gaza depuis le 9 octobre : « Israël ne laisse pas passer les reporters internationaux qui voudraient se rendre dans la bande de Gaza… » Mais Ronald Guintrange n’en démord pas : « Et nous serions certainement bien moins bien accueillis que lorsque nous arrivons en Israël. » Sidérant.
À ce stade, on ne peut s’empêcher de penser au photoreporter Patrick Chauvel. En 2009, alors qu’un tapis de bombes s’abattait déjà sur Gaza, ce dernier enrageait d’y être interdit d’accès par l’armée israélienne, parqué « à la sortie de la ville de Sdérot » comme la plupart des équipes journalistiques étrangères, ainsi que le rappelait l’INA dans une vidéo d’utilité publique [5] :
Patrick Chauvel : Je pense que la folie, c’est de nous empêcher de travailler. Je pense que la folie, c’est d’être ici et de regarder les sautes d’intensité des bombes qui tombent sur Gaza où il y a 1 300 000 personnes. La folie, c’est d’être journaliste et d’avoir le cul vissé ici ! […] Quand on ne laisse filmer qu’une seule chose, ça devient de la propagande. Si on laisse tout filmer, c’est de l’information.
On ne saurait mieux dire. Si ce n’est confirmer, à la lumière de ce rappel, que BFM-TV ne fait donc pas de l’information, mais de la propagande.
Des duplex… et un trou noir
Une myopie structurelle dans laquelle s’inscrivent à leur insu les duplex des trois envoyés spéciaux de BFM-TV tout au long de la soirée – deux d’entre eux sont à Tel-Aviv, le dernier en reportage à Ashkelon, une ville israélienne située au nord de Gaza. On dénombre seize interventions de leur part sur les cinq heures étudiées. Pour raconter quoi ?
La première correspondante présente un déroulé de la journée à Tel-Aviv : « Trois roquettes ont réussi à percer [l]e dôme de fer, et l’une d’entre elle a causé des dégâts sur un immeuble résidentiel et blessant quatre personnes. […] Désormais, […] l’atmosphère est beaucoup plus posée, beaucoup plus relaxée. » Une accalmie qui n’empêchera pas BFM-TV de relancer ce duplex à quatre reprises pour que l’envoyée spéciale y répète mot pour mot les mêmes choses. Lesquelles font ensuite l’objet d’une redite sans valeur informationnelle ajoutée de la part d’un deuxième correspondant à partir de 21h, qui bénéficie quant à lui de quatre interventions (identiques) jusqu’à minuit : « Une soirée assez calme à Tel-Aviv, presque habituelle finalement », avance-t-il à 21h15, avant de poursuivre :
– Envoyé spécial : On est vendredi, ici, c’est un soir de shabbat. […] Dans cette ville qui est assez progressiste, il y a beaucoup de gens qui se retrouvent tout simplement entre amis, chez eux, pour un repas, un barbecue. Et puis évidemment, […] on voit que les gens regardent quand même les télévisions pour savoir un petit peu ce qui se passe du côté de la bande de Gaza. Mais c’est vrai qu’un peu plus tôt dans la journée, il y a eu des salves de roquettes.
Et de détailler avec minimalisme les sirènes, « ça, c’est assez habituel à Tel-Aviv », et les descentes aux abris en s’incluant – « nous-mêmes journalistes » – dans le récit.
S’ajoutent à cela les duplex depuis Ashkelon : six séquences à l’antenne au total [6], au cours desquelles l’envoyé spécial rapporte à chaque fois les mêmes éléments : « des bruits sourds en direction de la bande de Gaza », mais surtout les abris où se sont réfugiés les habitants. Les descriptions de son terrain étant agrémentées, là encore, de moult détails (l’installation de frigos ou d’une télévision), d’interviews d’habitants dont une se dit « terrifiée, nous ne faisons qu’attendre la prochaine bombe qui arrivera », mais aussi d’expressions rapportées de leur « peur » et de leurs « traumatismes » dans « cette guerre extrêmement difficile et éprouvante pour eux ».
Soyons très clairs : la critique ne porte évidemment pas sur ces informations en tant que telles, pas plus qu’elle entend minimiser les souffrances qu’elle donne à voir et à entendre. Parfaitement légitimes d’un point de vue journalistique pour une partie d’entre eux [7], ces duplex témoignent de sentiments et d’états d’âme parmi cette partie de la population israélienne côtoyée par les journalistes. Le problème réside en revanche dans le fait que ces éléments de terrain, sensibles, au plus près des habitants, se juxtaposent à un trou noir informationnel s’agissant de la population gazaouie. Une disproportion qui ne peut qu’influer sur la réception des récits rapportés par les correspondants, perçus de fait comme complétement déphasés, pour ne pas dire indécents au moment où un tapis de bombe s’abat à quelques kilomètres sur une population dans le silence le plus complet. « On ne les voit pas, on ne les entend pas, ça reste abstrait. […] Au niveau des images, c’est déséquilibré parce qu’il y a des grands absents », déplore la journaliste Tamar Sebok en évoquant… les otages israéliens. C’est une réalité dramatique, là encore. Mais aucun développement significatif équivalent ne sera apporté dans cette émission s’agissant des civils et des victimes à Gaza.
Les conditions de production contraintes de l’information et l’impossibilité de fait de réaliser des duplex identiques à Gaza n’impliquent pourtant aucune fatalité. Les journalistes ne peuvent pas se rendre sur place ? C’est indéniable. Mais il est alors du devoir de BFM-TV de se donner les moyens d’équilibrer son traitement éditorial. Ces moyens existent. L’un d’entre eux consiste à faire entendre des voix palestiniennes résidant ailleurs. Il n’y en aura aucune. Un deuxième moyen consiste à solliciter les personnels humanitaires, à même de rapporter des éléments de terrain et de vécu des populations civiles. Une chaîne d’information digne de ce nom les aurait mis en première ligne sur les plateaux au cours de cette soirée. Sur BFM-TV, ils ont été complétement marginalisés… et rabroués. Au cours de cet échange, par exemple :
– Johann Soufi : Une violation du droit international humanitaire, par exemple, [c’est] de cibler de manière disproportionnée des civils, d’attaquer un hôpital. Même si on prétend qu’il constitue une cible militaire, ça constitue un crime de guerre. Conduire une attaque systématique ou généralisée [coupé]
– François Gapihan : L’armée israélienne, pardonnez-moi, accuse le Hamas de mener la guerre depuis les hôpitaux de Gaza.
– Johann Soufi : Oui mais la Russie dit la même chose à propos des cibles en Ukraine, que c’est pour des nécessités militaires [coupé]
– François Gapihan : Là actuellement, pardonnez-moi de repréciser les choses tout de même. La Russie est l’agresseur dans le conflit en Ukraine. Israël actuellement est l’agressé depuis le 7 octobre.
Tout semble permis sur le plateau de BFM-TV, depuis l’appropriation du récit des autorités israéliennes… jusqu’à la réécriture des conventions internationales.
Au cours de la soirée, on dénombre cinq représentants d’ONG. Leur temps de parole cumulé fut de 18 minutes en cinq heures [8] : le temps humanitaire selon BFM-TV.
Commentateurs en roue libre
Ronald Guintrange avait du reste annoncé la couleur quant à la préoccupation de BFM-TV pour le sort des civils palestiniens : « Quand on voit ce tapis de bombes qui s’abat ce soit sur Gaza, on imagine ce qu’il y a en dessous alors même qu’il n’y a plus grand-chose en dessous […] parce que les populations civiles sont censées être plus au sud. »
De 19h à minuit, les invités sont à l’image du « pluralisme » de la chaîne. En dehors des humanitaires précédemment cités, on décompte treize personnes au total, dont six journalistes, un professeur à Sciences Po, le vice-président du Crif, et pas moins de cinq militaires, anciens et actuels (voir en annexe). Sans oublier l’ambassadeur Raphaël Morav, chargé d’Affaires d’Israël en France, et Frédéric Journès, ambassadeur de France en Israël. Tous deux bénéficient d’une interview privilégiée – 12 minutes pour l’un, 25 minutes pour l’autre – et d’un temps de parole deux fois supérieur aux cinq humanitaires précédemment cités.
Dans toutes les bouches (ou presque), les civils gazaouis ne sont qu’une préoccupation « collatérale » et périphérique par rapport à l’information principale : le commentaire de la stratégie militaire. Le général Olivier de Bavinchove parle d’une « suite logique de la campagne de ciblage très méthodique ». Le général Pellistrandi, présenté comme « consultant Défense BFM-TV », assure quant à lui qu’« on bascule dans le temps de la guerre, sachant que Benyamin Netanyahou n’est pas forcément un va-t-en-guerre. Il a toujours été très prudent dans l’usage de la force militaire comparé aux faucons de son gouvernement. » Le haut-fonctionnaire et professeur à Sciences Po Nicolas Tenzer déplore de son côté « un dilemme terrible » et se couvre d’un rappel au « principe de proportionnalité » complétement hors-sol pour mieux légitimer la guerre en cours : « On ne peut pas effectivement accepter que [les crimes contre l’humanité à caractère génocidaires du 7 octobre] ne soient pas punis. Pas plus qu’on ne peut pas accepter les crimes équivalents de la Russie en Ukraine, en Syrie, etc. […] On a une organisation terroriste [le Hamas], un État terroriste la Russie, c’est pareil d’une certaine manière. » « L’expert » donne plus tard le fin mot de ses préoccupations : « Il faut aller vite. Et puis après, il faudra rétablir un discours pour qu’Israël conserve une légitimité qui avait déjà été fortement atteinte par les attaques contre l’État de droit par Netanyahou. » On monte encore d’un cran en compagnie du chroniqueur diplomatique et international du Figaro Renaud Girard :
Renaud Girard : Je pense que là, les Israéliens ont vraiment décidé de mettre le paquet. […] Le problème, c’est que ces ruines vont faire des barricades si vous voulez. Donc les chars, après, ne vont plus pouvoir pénétrer. C’est le problème qu’avaient eu d’ailleurs les Allemands à Stalingrad. Ils avaient complétement bombardé Stalingrad mais après, les Panzers ne pouvaient plus avancer puisque tout était effondré.
On reste sans voix.
Au cours de la soirée, l’ONU votait une résolution appelant à une « trêve humanitaire immédiate, durable et soutenue » [9]. Sauf erreur de notre part, il n’en est fait mention qu’à deux reprises sur BFM-TV, dont une fois pendant un générique de fin, avant une coupure pub. Un classement sans suite, que résume dans un second temps Jean-Sébastien Ferjou, directeur de la rédaction du site Atlantico : « Les Nations unies depuis longtemps condamnent en permanence Israël et sont très partiales dans leur vision du conflit. »
Rideau.
***
Le 28 octobre, des manifestants se sont rassemblés à Paris en soutien au peuple palestinien, malgré l’interdiction. Les mains sur les yeux, ils scandaient : « Journalistes, où êtes-vous ?! » Sur BFM-TV, on avait déjà choisi de répondre la veille : « Avec l’armée israélienne ».
Post-scriptum : dans un article du 3 novembre, Blast fait état de contestations internes dans la rédaction de BFM-TV – « La Société des journalistes (SDJ) a alerté la direction sur un traitement qui fait la part belle à Israël et son armée, laissant peu de place en contrepoids à Gaza. »
Annexe
ACTION CRITIQUE MEDIA est l’observatoire des médias télévisuels et de la grande presse en France. Leur travail s’articule principalement autour du traitement par les médias dominants des luttes sociales et des perpétuelles réformes. Leurs analyses sont issues d’un travail de veille informationnelle permanente, contribuant de manière colossale à la réinformation et à la lutte contre la propagande.
Publié le 31-10-2023 : https://www.acrimed.org/D-Israel-a-Gaza-2-la-guerre-plutot-que-la-paix
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