La France doit garantir et renforcer la protection des sources des journalistes, pas la torpiller

Acrimed est signataire, aux cÎtés de syndicats de journalistes, sociétés des journalistes, associations et médias, de ce texte ouvert à pétition.

Nous, syndicats de journalistes, sociĂ©tĂ©s des journalistes, associations, mĂ©dias, considĂ©rons que la libertĂ© de la presse ne peut pas s’accommoder d’une exception de sĂ©curitĂ© nationale autorisant l’espionnage des journalistes. Ceci est pourtant l’objet d’un actuel vif lobbying de l’Etat français dans le cadre de l’imminente adoption du rĂšglement europĂ©en sur la libertĂ© de la presse et des mĂ©dias (European media freedom act, EMFA).

Les gouvernements des États membres, les eurodĂ©puté·es et la Commission europĂ©enne ont jusqu’à ce vendredi 15 dĂ©cembre pour trouver un compromis sur ce texte. Or, si ce texte comporte une trĂšs grande majoritĂ© de dispositions renforçant la libertĂ© de la presse, et donc est un progrĂšs, il comporte hĂ©las aussi quelques dispositions liberticides.

Tel que proposĂ© par les Etats membres europĂ©ens, l’article 4 permet l’utilisation de logiciels espions de type Pegasus en cas d’« impĂ©ratif prĂ©pondĂ©rant d’intĂ©rĂȘt public, en accord avec la Charte europĂ©enne des droits fondamentaux Â» et pour enquĂȘter sur une longue liste de 32 dĂ©lits punis de trois Ă  cinq ans de prison, incluant le terrorisme mais aussi les crimes informatiques, la contrefaçon ou encore le sabotage. La France milite actuellement activement pour que la protection des sources soit levĂ©e dans de tels cas. ConcrĂštement, les appels, les e-mails et les Ă©changes sĂ©curisĂ©s entre les journalistes et leurs sources liĂ©es Ă  ces enquĂȘtes pourraient ĂȘtre interceptĂ©s — en toute lĂ©galitĂ© — par les services de renseignement.

Insistons : la protection des sources des journalistes est une condition fondamentale de la libertĂ© de la presse, et par consĂ©quent de la dĂ©mocratie. Elle est d’ailleurs reconnue comme telle par la Cour europĂ©enne des droits humains (CEDH).

De nombreuses dĂ©marches ont dĂ©jĂ  Ă©tĂ© menĂ©es auprĂšs des autoritĂ©s europĂ©ennes pour que le rĂšglement sur la libertĂ© de la presse et des mĂ©dias (European media freedom act) ne soit pas affaibli par une telle exception, qu’il serait impossible d’encadrer efficacement.

En septembre 2023, 500 journalistes ont signé une lettre appelant le Parlement européen à instaurer une interdiction absolue de surveiller les journalistes en utilisant des logiciels espions.

Le 30 novembre dernier, dix-sept des plus importantes organisations d’éditeurs et de journalistes en Europe ont fait part aux dirigeants europĂ©ennes de leur inquiĂ©tude :

« Au vu des rĂ©cents dĂ©veloppements dans les Etats membres de l’UE, tels que la prolifĂ©ration d’outils de surveillance intrusifs, il est d’autant plus important que l’EMFA protĂšge efficacement les fournisseurs de services de mĂ©dias, les journalistes et leurs sources. Nous sommes profondĂ©ment prĂ©occupĂ©s par l’effet dissuasif qui pourrait s’ensuivre si le texte final fixe des conditions pour la divulgation des sources qui sont en deçà des normes internationales en matiĂšre de droits de l’homme, et maintient le paragraphe selon lequel « Le prĂ©sent article [Article 4] est sans prĂ©judice de la responsabilitĂ© des États membres en matiĂšre de sauvegarde de la sĂ©curitĂ© nationale Â».

La prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration europĂ©enne des journalistes, Maja Sever, a dĂ©clarĂ© : « Pour les journalistes, l’article 4 est l’article le plus important, car l’idĂ©e initiale est de protĂ©ger les sources des journalistes et d’apporter une sĂ©curitĂ© juridique aux journalistes et aux mĂ©dias. Pourquoi ajouter une clause sur la sĂ©curitĂ© nationale dans une loi visant Ă  protĂ©ger la libertĂ© des mĂ©dias, alors que nous savons tous que la sĂ©curitĂ© nationale est traitĂ©e au niveau national ? Ceci reflĂšte une approche illibĂ©rale Â».

Pour Dominique PradaliĂ©, prĂ©sidente de la FĂ©dĂ©ration internationale des journalistes (FIJ), « cet espionnage, rendu possible, serait non seulement une atteinte grave Ă  la libertĂ© de la presse en Europe mais un signal catastrophique pour les autres continents ! Â».

Des articles de Investigate Europe, Disclose et Follow The Money rĂ©vĂšlent qu’encore sept pays, dont la France —notamment par la voix de sa ministre de la Culture, Rima Abdul Malak—) continuent d’insister sur la lĂ©galisation de l’espionnage des journalistes, « en cas de sĂ©curitĂ© nationale Â».

Seule une formulation du rĂšglement europĂ©en sur la libertĂ© de la presse et des mĂ©dias incluant les conditions de la CEDH et la jurisprudence, en vertu desquelles les interfĂ©rences avec les libertĂ©s des journalistes peuvent ĂȘtre justifiĂ©es, serait pour nous acceptable. C’est le cas de la proposition du Parlement, adoptĂ©e le 3 octobre dernier, stipulant que la surveillance des journalistes ne pourrait ĂȘtre autorisĂ©e que par une autoritĂ© judiciaire indĂ©pendante et pour « enquĂȘter ou empĂȘcher un crime sĂ©rieux, sans lien avec l’activitĂ© professionnelle du mĂ©dia ou de ses employĂ©s Â» et sans que cela ne permette « d’accĂ©der aux sources journalistiques Â».

Nous appelons solennellement le prĂ©sident Emmanuel Macron et le gouvernement français, Ă  retirer cette dĂ©rogation au titre de la « sĂ©curitĂ© nationale Â» incompatible avec les standards europĂ©ens pour l’exercice du journalisme. Sans protection des sources, pas de journalisme, pas de dĂ©mocratie.


Pétition et liste des signataires ici.

ACTION CRITIQUE MEDIA est l’observatoire des mĂ©dias tĂ©lĂ©visuels et de la grande presse en France. Leur travail s’articule principalement autour du traitement par les mĂ©dias dominants des luttes sociales et des perpĂ©tuelles rĂ©formes. Leurs analyses sont issues d’un travail de veille informationnelle permanente, contribuant de maniĂšre colossale Ă  la rĂ©information et Ă  la lutte contre la propagande.


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Article : https://www.acrimed.org/La-France-doit-garantir-et-renforcer-la

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