Décapitations en série, silence du Vatican, complicité d’Israël, enjeux énergétiques: voici pourquoi prévaut la loi du silence face au nettoyage en cours dans le Haut-Karabagh. Entrevue avec Krikor Amirzayan, directeur du magazine Nouvelles d’Arménie.
«Quand la Russie a lâché les Arméniens du Haut-Karabagh, la communauté internationale a fait des communiqués indignés, mais rien de concret. Les Arméniens ont eu droit à la même hypocrisie que durant le génocide de 1915. Déjà à cette époque, l’Europe savait ce qui se passait», déplore d’emblée Krikor Amirzayan.
La crainte d’une nouvelle épuration ethnique
En septembre, au moins 105 000 Arméniens ont dû fuir la région. «Les Russes n’étant plus là, les Arméniens sont partis, car ils savaient qu’ils allaient être victimes d’un nouveau génocide», lâche alors le directeur du magazine Nouvelles d’Arménie.
Le journaliste Krikor Amirzayan. Photo: Nouvelles d’Arménie.
De septembre à novembre 2020, la seconde guerre du Haut-Karabagh a duré 44 jours. L’Azerbaïdjan a repris le contrôle de territoires perdus en 1994, lors du premier conflit.
Né à Alep, en Syrie, de parents orphelins à la suite du génocide de 1915, Krikor Amirzayan est arrivé en France à l’âge de 10 ans. Depuis, il voyage en Arménie plusieurs fois par an.
Le Vatican n’a jamais condamné fermement l’attaque de Bakou contre les Arméniens du Haut-Karabagh.
Il y a un an, il s’est rendu sur le «cimetière militaire des héros» à Yerablur, une colline d’Erevan, la capitale. Il a voulu prendre en photo des portraits ornant les tombes de soldats d’un nouveau carré, contenant 200 tombes de soldats tués en septembre 2020. Très vite, les responsables du cimetière l’en ont empêché.
La moitié des soldats enterrés dans ce carré auraient été décapités. Ces derniers mois, plusieurs familles arméniennes ont reçu une photo d’un de leurs proches décapité grâce à son téléphone portable que récupèrent les militaires azéris à cette fin.
Du gaz russe livré en Europe via l’Azerbaïdjan
Après la «guerre des 44 jours» et l’accord de paix du 10 novembre 2021, la Russie devait assurer la sécurité militaire et civile de la partie du Haut-Karabagh n’étant pas sous contrôle de l’Azerbaïdjan.
Un couloir de 60 kilomètres de long reliant le Haut-Karabagh à l’Arménie devait être sécurisé par la Russie. Mais avec la guerre en Ukraine, le nombre de soldats russes présents sur place est passé d’environ 2000 à 1000. «Et entre temps, la Russie a passé des accords de gaz avec l’Azerbaïdjan», glisse notre informateur.
«En raison du blocus, le gaz russe transite par l’Azerbaïdjan avant d’être livré à l’Union européenne. Ursula Von Der Leyen est d’ailleurs allée à Bakou pour y signer un accord gazier. L’Union européenne sanctionne la Russie, mais achète du gaz russe qui transite par l’Azerbaïdjan – et qui coûte 50 % plus cher!», s’étrangle-t-il alors.
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Relâcher la surveillance russe sur le Haut-Karabagh aurait été la contrepartie demandée par Bakou – la capitale de l’Azerbaïdjan – pour laisser transiter le gaz russe à destination de l’Europe sur son sol. Ce serait l’une des causes de l’exode de septembre.
«Cette fin de la présence arménienne dans le Haut-Karabagh n’est pas dans l’intérêt de la Russie. À mon avis, Poutine n’avait pas anticipé ce risque», poursuit-il avant de souligner un fait étonnant: la neutralité de la République Islamique d’Iran. Bien que l’Arménie soit le plus ancien État chrétien au monde, l’Iran souhaite garder l’Arménie comme pays frontalier.
Liquidation d’églises à marche forcée
«Quand les Azéris et les Turcs ont voulu mettre la main sur le sud de l’Arménie, le premier holà est venu de l’Iran. Si le sud de l’Arménie passe entre les mains de l’Azerbaïdjan, il y aura une continuité territoriale entre ce dernier et la Turquie», m’explique Krikor Amirzayan.
Une possibilité qui ne plaît pas du tout à l’Iran, notamment parce qu’un nombre important d’Azéris vivant dans le nord de l’Iran aurait des velléités sécessionnistes. L’Arménie ne partage pas les idéaux du régime des mollahs, mais doit faire avec la géographie. Et l’Iran a besoin de l’Arménie pour des questions stratégiques. Régulièrement, Téhéran a déclaré être prêt à attaquer la Turquie ou l’Azerbaïdjan en cas d’agression du sud de l’Arménie.
Le but est de tuer l’âme du peuple arménien mais ils n’y parviendront pas.
Pour s’implanter plus solidement dans le Haut-Karabagh, l’Azerbaïdjan compterait sur la minorité que sont les Oudis. De l’ordre de 500 à 1000 dans la région, ces chrétiens azéris sont utilisés par l’Azerbaïdjan.
Les Arméniens ont environ 1800 lieux de culte (chrétiens) dans cette zone. Au profit de l’Azerbaïdjan, les Oudis transforment actuellement les églises du Haut-Karabagh en lieux de culte intermédiaires entre islam et christianisme.
Radieuse il y a encore quelques mois, la cathédrale de Chouchi, petite ville du Haut-Karabagh, vient d’être transformée: la coupole a été modifiée, des croix ont été enlevées, la cathédrale est ratatinée. «Il y a quelques jours, les croix d’une autre cathédrale ont été retirées. Il s’agit d’en faire à terme des cathédrales de type Oudi, voire des mosquées», prévient notre interlocuteur.
Le silence du Pape acheté par l’Azerbaïdjan?
Face à une telle appropriation culturelle, que fait l’UNESCO? Il y a cinq ans, une affaire de blanchiment d’argent liant l’Azerbaïdjan au mari d’Irina Bokova, politicienne bulgare alors directrice de l’UNESCO, a été soulignée par nos confrères de Challenges.
De son côté, le Vatican n’a jamais condamné fermement l’attaque de Bakou contre les Arméniens du Haut-Karabagh. «L’Azerbaïdjan finance des projets tels que des restaurations d’églises. C’est un pays qui a assez d’argent pour s’acheter une impunité face à ses crimes. Beaucoup de personnalités ont été achetées par l’Azerbaïdjan», lâche Krikor Amirzayan.
En janvier, l’écrivain Sylvain Tesson a relaté le mur auquel il a fait face en voulant sensibiliser le Vatican au sort des Arméniens. Le Pape François serait plus sensible aux billets venant de Bakou qu’au sort du plus ancien État chrétien au monde.
Officiellement laïc, l’Azerbaïdjan semble composer de plus en plus avec l’islamisme. Lors de la guerre de 2020, des mercenaires syriens et libyens l’ont appuyé. En Arménie, on évoque l’envoi de combattants de l’État islamique.
Le rôle de Total, Israël et Cie
Une proximité avec les ennemis de la démocratie qui ne gêne pas certains opportunistes comme Éric Adams, l’actuel maire de New York, qui selon le FBI entretiendrait des relations privilégiées avec l’Azerbaïdjan.
Déjà en 2018, des politiciens espagnols, italiens et allemands se sont fait pincer pour leurs liens douteux avec l’Azerbaïdjan. D’une façon générale, cette corruption prend la forme de voyages offerts ou de cadeaux, qui incitent fortement à dire du bien du régime de Bakou.
En France, Rachida Dati, maire du VIIe arrondissement de Paris, entretient – ce n’est pas un secret – des relations étroites avec Bakou. Et depuis que le géant Total a découvert un site gazier en mer Caspienne, la firme française a un pied en Azerbaïdjan et ne s’en cache pas.
L’Azerbaïdjan semble avoir le bras long en Europe, au Vatican, mais aussi plus près de chez lui: pour des raisons commerciales et faire pression sur l’Iran, Israël livre en grand nombre des armes de haute précision à l’Azerbaïdjan. Ce dernier achèterait-il aussi l’État hébreu?
«Bien sûr! Quand lsaac Herzog, le président d’Israël, s’est rendu en Azerbaïdjan, il a déclaré qu’il avait toujours rêvé d’aller là. Mais s’il a dit cela, c’est parce qu’Israël a un porte-avions sur place, donc pas loin de l’Iran», nous apprend Krikor Amirzayan.
Les soldats azéris fanatisés
Face à de tels conflits d’intérêts, le sort de 105 000 Arméniens déplacés ne pèse pas lourd. Pourtant, les atrocités relatées lèvent le cœur.
«Actuellement, des dizaines de milliers de soldats arméniens sont victimes de stress post-traumatique. Depuis la guerre de 2020, beaucoup dorment encore mal», me confie le directeur de Nouvelles d’Arménie.
À l’époque, Amnesty International et Human Rights Watch ont authentifié des vidéos où des soldats arméniens sont tués à bout portant par des commandos azéris.
D’autres exactions telles qu’une femme découpée en morceaux encore vivante, des gens torturés et laissés en état de malnutrition extrême, ou encore des hommes décapités ont été diffusées par leurs auteurs sur Telegram. Libre Média a eu accès à plusieurs de ces images. Notre grand reporter Anne-Laure Bonnel s’est penchée très sérieusement sur ces crimes de guerre. Ces sauvageries rappellent celles de l’attaque perpétrée par le Hamas le 7 octobre dernier.
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À Bakou, un «Parc des Trophées» a été érigé en avril 2021. On y expose des mannequins en cire de soldats arméniens enchaînés, ou des casques de soldats ayant été tués.
«Le but est de tuer l’âme du peuple arménien, mais ils n’y parviendront pas. Notre peuple existe depuis 8000 ans. Tout ce qu’ils font, c’est nous redynamiser encore plus», prévient Krikor Amirzayan.
Le sud de l’Arménie menacé
«Les Arméniens adorent la France. La culture de l’Arménien moyen est liée au romantisme français et à Victor Hugo, par exemple. L’Arménien moyen connaît mieux que le Français moyen Alexandre Dumas, par exemple!», lance-t-il alors.
Pays de trois millions d’habitants, l’Arménie est membre de droit de l’Organisation internationale de la Francophonie. Officiellement, plus de 60 000 Arméniens vivent au Canada.
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Depuis septembre 2021, 200 kilomètres carrés de l’Arménie souveraine – et reconnue comme telle par l’ONU – seraient occupés par environ 2000 soldats azéris. Face à la menace d’une invasion, l’Arménie s’arme, auprès de la France, notamment.
Dans un communiqué, Ilham Aliev, le président de l’Azerbaïdjan, vient d’accuser la France de «préparer le terrain pour une nouvelle guerre». En réponse, le président du Parlement arménien Alen Simonyan a souligné que l’Azerbaïdjan «achète des armes d’une valeur de plusieurs milliards de dollars», et déclaré que « l’Arménie n’avait [n’a] pas l’intention d’attaquer quelque pays que ce soit».
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