Les sanctions : même les Ukrainiens peinent à voir leur efficacité – Jules Seyes

La confusion organisée autour du succès ou non des sanctions vise à empêcher les citoyens de prendre position. Cette prudence est sûrement utile, mais les Ukrainiens, eux ont moins besoin de motivation. Il faut dire que eux, paient un autre prix, bien plus terrible pour poursuivre le rêve de leurs dirigeants et des nôtres.

Cet article fera exception aux formes habituelles. La Pravda de Kiev un journal peu suspect de pro-russisme publie une série de papier sur les sanctions.

How Western energy sanctions against Russia are failing | Ukrainska Pravda

Le vôtre et rashim. La saisie des avoirs russes profitera à tout le monde sauf à l’Ukraine | Ekonomichna Pravda (epravda.com.ua)

Les armes de la Russie : comment la Russie augmente la production de missiles et d’équipements | Ekonomichna Pravda (epravda.com.ua)

Tous ces articles ont un point commun :

« Le matériel a été créé dans le cadre du projet ANTS « Les actifs russes comme source de récupération de l’économie ukrainienne », mis en œuvre en coopération avec l’Institut national démocratique (NDI) avec le soutien financier du National Endowment for Democracy (NED). »

Nous sommes donc en présence de la frange la plus anti-russe et la plus décidée á combattre la Russie. Ils ont donc des biais, mais la comparaison entre leurs sources d’informations et le récit présent dans l’esprit des Occidentaux sur les sanctions relève du grand écart.

Commençons par le commencement le point sur les sanctions de 2014, l’estimation démarre sur le matériel d’exportation pétrolier :

« À l’époque (en 2014), ils n’avaient la capacité de fournir que 20 % des équipements nécessaires aux opérations de forage. Ce chiffre est passé à 50 % en 2019. »

Le même phénomène s’est observé sur le porc et dans d’autres industries, les sanctions ont agi comme un protectionnisme et ont poussé l’industrie russe à se renforcer.

Mais bon, admettons, c’était 2014, depuis nos dirigeants ont eu le temps de « réfléchir » (Et nous savons grâce à Monsieur Lemaire comment ils réfléchissent) et d’établir un nouveau plan de sanctions « infiniment » plus efficace.

Alors quelle est la stratégie ?

Je vous donne la version de la Pravda de Kiev :

L’objectif principal des sanctions occidentales contre la Russie est de rendre impossible le financement de la guerre.

Et plus loin :

Une augmentation des dépenses militaires aurait dû réduire considérablement d’autres programmes et déstabiliser l’économie, mais jusqu’à présent, Moscou a réussi à éviter cela.

Dans un autre article nous avons :

Plus l’establishment de Poutine perd de biens, plus vite ses représentants forceront les autorités à arrêter la guerre.

On peut donc le résumer en : empêcher le financement de la guerre, déstabiliser l’économie pour mettre le peuple contre V. Poutine et inciter l’élite russe à se révolter. Un triptyque censé et adapté à une stratégie où l’armée ukrainienne est depuis le début considéré comme incapable de vaincre l’armée russe sur le terrain. L’arrière russe doit craquer pour obtenir le retrait de l’armée.

Le choix de ce schwerpunkt (on me pardonnera le terme allemand) fait de l’économie le champ de bataille principal. De l’efficacité des sanctions dépends le succès où l’échec de la guerre d’Ukraine.

Un an plus tard où en sommes-nous ?
 

La réponse est : les Ukrainiens meurent en masse sous les coups de l’artillerie russe, les contre-offensives s’empalent sur les défenses russes et ceux-ci observent le matériel occidental brûler depuis leurs tranchées bien aménagées.

Il serait donc essentiel de l’emporter au plan économique, constatons-le : nous en sommes loin ! Sur chaque point de la stratégie les Ukrainiens dressent un réquisitoire féroce.

Examinons chacun de ces thèmes :
 

Assécher le financement de la guerre :

Première constatation : avant-guerre, les Russes disposaient d’une cagnotte :

« Dans les années qui ont précédé l’invasion à grande échelle, le Kremlin a placé une partie de ces revenus dans le Fonds national de richesse (NWF). Les fonds qui y sont détenus ont atteint 183 milliards de dollars. » 

Celle-ci permettait d’absorber les chocs, nulle part il n’est mentionné une confiscation ou un gel de ces avoirs. En réalité les Ukrainiens nous disent :

Les pays occidentaux ont gelé des dizaines de milliards de dollars de yachts et de villas de l’élite russe.

Au total, les alliés de l’Ukraine ont gelé des avoirs privés russes d’une valeur de 58 milliards de dollars.

Sur la base de rapport officiels russes d’avant-guerre, il avait été estimé que les sanctions devaient geler 300 milliards de dollars d’actifs. Les Ukrainiens suivent ces montants à la trace, car leur reconstruction est gagée dessus. Il est donc improbable qu’ils l’aient sous-évalué.

58 milliards sur une cible officielle de 300 milliards, le butin est maigre. Dès lors, tous les pays tiennent à des processus judiciaires pour prétendre ne pas avoir abîmé le droit de propriété. Pas de chance, l’effet moral est probablement déjà là. Nous avons volé, rompu un droit essentiel, tout cela pour PRESQUE RIEN.

Le NWF qui représentait la cible la plus juteuse n’a pas été pris et le trésor de guerre russe parait intact !1

Voilà les excédents commerciaux russes des années avant 2017, il suffit de sommes les valeurs annuelles pour estimer les réserves. Pensez tout de même à estimer que ce montant peut être réduit par des dividendes ou des services financiers. La fuite des capitaux était un fléau avant Poutine, il est improbable qu’il ait réussi à totalement l’endiguer.

On le constate, le financement de la guerre sur les seules réserves peut durer assez longtemps. Mais pire, qu’en est-il du commerce ?

Le gaz et le pétrole semblent bien se porter, voici le graphique montré par la Pravda :

Un Euro = environ 100 roubles au cours actuel, donc, chaque mois, entre 4 et 7 milliards d’Euros de Revenus. La balance commerciale française apprécierait.

Selon le mythe en vigueur, les Russes vendent avec des rabais. L’information semble à nuancer aux yeux de la Pravda et elle livre une analyse des cours en le baril d’Ural (Pétrole russe) comparé à celui du Brent (Marché occidental).

Le pétrole doit être vendu à rabais afin d’évincer les concurrents et d’indemniser les clients pour les risques associés aux sanctions.

Plus le pétrole russe pénètre profondément sur le marché asiatique, plus la décote en dessous du Brent diminue. Il était de 37 $ US le baril au début de l’invasion, et maintenant il est de 19 $. L’écart s’est réduit de 40 % au cours des cinq derniers mois.

On le constate le risque de sanction des acheteurs intégré dans le prix diminue, témoignage de la perte de dissuasion de l’Occident. Le prix contient l’information et bien celle-ci dit : Le reste du monde se préoccupe de moins en moins de nos représailles.

Pire, le prix du baril russe, malgré la décote est remonté :

 La hausse des prix mondiaux, ainsi que la réduction de la décote, ont entraîné une hausse de 35% du prix du baril de pétrole de l’Oural depuis mars 2023. 

Oil Price Charts | Oilprice.com

Avant-guerre, les Russes annonçaient équilibrer leur budget à 40 dollars le baril. Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes pétroliers. Prends ça Poutine, 25$ de rabiot par baril.

Le prix reste lui confortable au-dessus de septembre 2021.
 

L’UE a tenté de réagir en imposant un plafond, l’article de la Pravda détaille les différentes méthodes de contournement. L’insuffisance des résultats et là encore au rendez-vous.

Quant au gaz, non sanctionné, certes nous avons réduit nos importations :

Ce chiffre est cinq fois inférieur aux volumes d’avant l’invasion, mais le prix moyen a augmenté depuis. Par conséquent, Gazprom, une multinationale russe de l’énergie, est en mesure de reconstituer le Trésor russe de 100 à 150 milliards de roubles [environ 1,1 à 1,6 milliard de dollars par mois].

Surtout :

Même si l’approvisionnement en gazoduc devait finalement cesser, la Russie disposera toujours d’une capacité importante d’exportation de GNL, disponible pour livraison partout dans le monde. 

À l’avenir, la Russie prévoit d’augmenter la capacité de ses terminaux GNL et de devenir le quatrième exportateur mondial.

Donc, à la lecture de ces éléments, le financement de la guerre n’est en aucun cas en danger.

En 2023, la Russie dépensera 29 362 milliards de roubles, soit 9 milliards de dollars du budget fédéral.

Même l’effet secondaire n’est pas atteint :

Une augmentation des dépenses militaires aurait dû réduire considérablement d’autres programmes et déstabiliser l’économie, mais jusqu’à présent, Moscou a réussi à éviter cela.

On comprend que les Ukrainiens partis en guerre avec la promesse de voir l’économie russe s’effondrer soient furieux. Eux meurent tandis que le plan échoue. La Russie est financée et absorbe le choc.
 

Déstabiliser l’économie russe :

Alors, on pourrait argumenter sur les imports, l’économie russe était sensible aux importations et avoir de l’argent sous le matelas ne garantit pas de pouvoir le dépenser. Comme le disent les Kieviens :

Trouver quelques billions de dollars n’est que la moitié de la bataille. Pour faire la guerre, les Russes ont besoin d’avoir accès à l’électronique occidentale. Sans elle, il est impossible de produire des missiles, des avions, des drones, des radars et des chars russes modernes.

Passons sur la présentation selon laquelle les Russes seraient incapables de rien construire sans matériel occidental, la Pravda se coupe sur ce sujet un peu plus loin :

il n’y a pas eu de catastrophe dans le complexe militaro-industriel russe en raison des sanctions.

Donc, malgré les sanctions les Russes continuent à produire leurs armes.

Pourquoi ? D’abord, car la production d’armes classiques est autonome :

Pour des armes ou des équipements plus primitifs pour la défense, la Russie a toujours eu un cycle de production complet », a déclaré Archil Tsintsadze, expert en défense, ancien attaché militaire géorgien aux États-Unis.

Le fait que le complexe militaro-industriel russe soit vivant est également mis en évidence par les indicateurs des statistiques officielles russes, a déclaré Lidia Lisovska.

Alors on se console en prétendant les Russes incapables de produire des armes de précision. Certes mais :

La deuxième méthode est semi-légale. Les livraisons à la Fédération de Russie se font par l’intermédiaire de pays neutres. Lesquels sont faciles à déterminer.

Les exportations de semi-conducteurs vers la Russie en provenance de Turquie, d’Arménie, du Kirghizistan, du Kazakhstan et de Serbie ont été multipliées par dix. Aucun de ces pays ne produit de micropuces.
 

Résultat :

Les données du ministère de la Défense de l’Ukraine montrent que pendant l’année de la grande guerre, les Russes ont pu produire plus de 500 missiles de croisière.

Alors, certes les Russes ne parviennent sans doute pas à remplacer toutes les armes utilisées. Mais c’est bien là la fonction des stocks et si leur production croit la vitesse de réduction des stocks diminue.
A la guerre, le vainqueur est celui capable de tenir le dernier quart d’heure, au rythme actuel, la Russie est en route pour courir un marathon et les sanctions coûtent sûrement de l’argent, mais elles n’empêchent pas l’économie russe de fonctionner.

On le voit dans l’analyse suivante :

Selon elle (Lidia Lisovska, analyste du projet ANTS), au premier trimestre de 2023, la production en Russie de jumelles, monoculaires et autres dispositifs optiques a augmenté de 73% par rapport à la même période en 2022.

La production de radars, de produits de radionavigation, d’équipements de télécommande, d’ordinateurs, de moteurs électriques, de générateurs, de batteries, de vêtements spéciaux et de chaussures a augmenté de 40 à 110%.

Cela peut indiquer le remplacement de produits qui étaient auparavant importés de pays occidentaux et une augmentation de la production pour l’armée.
 

Alors, dernier espoir :

Ainsi, les sanctions et la guerre drainent l’économie russe, mais seulement à long terme.

Oui, sauf que selon la phrase de Keynes : À long terme nous serons tous morts. Dans le cas de l’Ukraine, il est probable qu’à long terme tous les Ukrainiens seront morts.

Et si jamais ils tenaient, les Occidentaux sont-ils prêts à vivre encore des années d’inflations et de pouvoir d’achat en berne pour les beaux yeux de Zelensky ? Il vaudrait mieux, me direz-vous, car la guerre en Ukraine masque le rôle de l’expansion monétaire de nos banques centrales dans l’explosion des prix. Prends ça Poutine, tu es finalement bien commode pour éviter à Bruno Lemaire et Christine Lagarde une interro d’économie de niveau lycée.

Restait le dernier espoir :
 

Inciter les oligarques à se révolter.

Le présupposé était le suivant :

L’élite russe a un point faible : l’amour du luxe. Pendant des décennies, l’argent corrompu de la Russie s’est installé dans les pays occidentaux. Là, ils se sont transformés en maisons, appartements, yachts, restaurants et clubs de golf.

Plus l’establishment de Poutine perd de biens, plus vite ses représentants forceront les autorités à arrêter la guerre.
 

Oui, mais :

Dans les premiers mois de la grande guerre, il y avait beaucoup d’espoirs pour une révolte des élites russes. Il s’est avéré que c’était inutile, car la guerre est une affaire rentable pour eux. Les responsables et les oligarques russes ont réussi à compenser leurs pertes.

Alors, passons sur l’aspect boomer fragile de cette conception. L’idée était de voir les oligarques préférer leur luxe à leur pays. Désolé, comment disait monsieur de Montebourg devant l’assemblée.

« Voulez-vous savoir combien cela coûte de trahir la France ? Ça n’est pas cher. »

Eh bien, les oligarques russes semblent plus chers, peut-être certains incidents de fenêtre font-ils monter le prix en flèche. Surtout, comme le révèlent les Ukrainiens (je vous invite á consulter leurs graphiques), la guerre rapporte à l’élite russe. Ils reviendront après-guerre pour récupérer leurs biens où nous les laisserons avec leur mouchoir plein de morve dessus en signe de mépris.
 

En conclusion :

Les sanctions ont échoué. Elles ont un effet, on peut se cacher derrière, mais fondamentalement, l’objectif stratégique de provoquer l’effondrement militaire russe par le front économique n’est pas atteint.

La liste des États ne participant pas aux sanctions révèle qu’une large partie du monde refuse de participer.

Dés lors, au lieu d’exclure la Russie, nous nous excluons nous-mêmes du marché mondial et les sanctions deviennent de l’aveu des européens une plaisanterie :

On ne saurait mieux dire, pendant ce temps, des hommes meurent sur le front dans une guerre ingagnable2 et l’occident alimente la corruption pour encourager l’élite ukrainienne à poursuivre des combats inutiles.

Il est temps d’arrêter et de traduire en justice les responsables occidentaux coupables de ce désastre. Sinon, les peuples d’Occident seront comptables des errements de leurs dirigeants.

Ni pardon, ni oubli !

  1. En tout cas, je n’ai pas trouvé de trace de confiscation de ses avoirs. Seules sont mentionnées des propriétés de luxe appartenant à des oligarques et les comptes de RT pour ajouter la censure à l’ignominie. ↩︎
  2. Même Tytelmann reconnaît qu’au prix humain actuel les Ukrainiens ne pourront pas se permettre d’arroser de sang chaque km² de terrain a reprendre. ↩︎

Jules Seyes

Jules Seyes (nom de plume), publie des livres et des articles dans plusieurs médias (Média 4-4-2, Donbass Insider, Observatoire de la Propagande). Contrôleur de gestion essentiellement dans les usines automobiles, cette expérience imprègne son analyse des questions productives et économiques, avec un soin particulier apporté à la technique et la rigueur des chiffres. Sa biographie

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